Les enjeux : punir les malfaiteurs, tout en préservant les institutions
J’ai déjà écrit que le président Xi Jinping est en train de modifier de manière radicale les incitations économiques et politiques qui ont régi la Chine pendant ces trente dernières années. Il a commencé par changer d’objectif de politique macroéconomique, passant d’un objectif unique de maximisation de la croissance à une panoplie d’objectifs politiques, qui vont du maintien de la croissance du PIB à la réduction de la pauvreté, en passant par la réduction du risque financier et la protection de l’environnement.
En remplaçant l’objectif antérieur de maximisation de la croissance par un ensemble plus complexe d’objectifs, le président Xi a créé un environnement politique soumis à de fortes pressions pour assurer un strict respect des décrets centraux. Dans cet environnement, ce sont les personnes, et non les institutions, qui paient le prix des écarts de conduite. La logique du responsable politique est que de cette manière, l’intérêt d’accepter un pot de vin ou de prendre des risques excessifs susceptibles de conduire à d’autres écarts de conduite, à des erreurs de politique, voire à une crise financière, sera réduit.
Les statistiques officielles montrent que sur les six premiers mois de 2018, l’autorité anti-corruption chinoise a puni près de 37.000 responsables officiels pour des infractions aux règles de frugalité. Les délits les plus courants comprennent l’usage abusif de véhicules appartenant à l’État, le versement de primes non autorisées et l’échange de cadeaux.
Le président Xi a aussi personnellement demandé aux 25 membres du Politburo d’enquêter sur un scandale concernant des vaccins (initialement révélé en juillet 2018) chez Changchun Changsheng Bio-technology, qui a fabriqué et vendu près d’un million de vaccins de qualité inférieure destinés aux enfants. En date de rédaction, plus de quarante cadres du parti, y compris des responsables de niveau ministériel, ont fait l’objet de mesures disciplinaires.
La purge des personnes jugées coupables d’écarts de conduite joue un rôle de premier plan dans l’approche adoptée par Pékin pour réduire le risque dans le système financier. Elle est diamétralement opposée à celle adoptée par de nombreux pays occidentaux à la suite de la crise des subprimes en 2008 : en Chine, ce sont les personnes, et non les institutions pour lesquelles elles travaillent, qui paient le prix de la prise de risque excessive et de la mauvaise gestion financière. Après le tour de vis réglementaire qui a débuté en 2017, il n’y pas eu d’effondrement de grands établissements financiers, mais de nombreux responsables du secteur financier ont été emprisonnés.
Cette approche soulève naturellement la question de la tolérance réglementaire. Il est clair que Pékin ne veut aucune défaillance financière majeure susceptible de provoquer une crise systématique et, surtout, de porter atteinte à la confiance du public à l’égard du parti communiste. Mais cela n’est pas synonyme de tolérance réglementaire. L’approche chinoise de la correction des distorsions provoquées par les incitations consiste à menacer les personnes responsables des institutions financières d’une fin de carrière brutale au lieu de les menacer de la défaillance des institutions qu’elles gèrent.
Les chiffres officiels montrent que 107 professionnels du secteur financier ont fait l’objet d’une interdiction d’activité dans le secteur ou d’une révocation de leurs qualifications professionnelles au premier trimestre 2018, un chiffre en hausse de 360 % par rapport à la même période de l’an dernier. La campagne anti-corruption est un élément clé de la lutte contre le risque financier. En avril 2017, la révocation du président de la Commission de supervision des assurances en Chine (CIRC) Xiang Junbo, a marqué le début d’un processus de purge des personnes accusées d’écarts de conduite. À ce jour, on compte de nombreuses poursuites judiciaires à l’encontre de dirigeants financiers accusés de corruption et d’activités illégales, dont voici quelques exemples :
Au lieu de fermer leurs portes, toutes les institutions concernées ont été maintenues à flot tandis qu’il était demandé à leurs créanciers de maintenir leurs lignes de financement. Les dirigeants de ces sociétés ont toutefois été exclus du secteur financier et font souvent l’objet de poursuites pénales.
Pékin lance ainsi un message clair aux dirigeants financiers chinois, à savoir qu’ils ne bénéficieront pas de la clémence accordée à leurs homologues de Wall Street après la grande crise financière de 2008. Rares sont ceux qui ont fait l’objet de poursuites judiciaires ou ont eu à payer le prix de leur négligence professionnelle après cette crise, alors que l’addition a été salée pour les institutions financières et les pouvoirs publics.
L’expérience a montré que les distorsions causées par les incitations, qui sont indéniablement courantes dans le système chinois, étaient au cœur de la crise américaine des prêts immobiliers à risque. Ces distorsions sont également inhérentes au processus d’intermédiation financière et à l’innovation financière, qui sont en pleine évolution en Chine.
L’Occident a fait le choix de gérer le désordre financier en faisant payer aux institutions le prix de leurs erreurs. En Chine, les institutions financières survivent, mais les personnes responsables des pratiques risquées en paient le prix. L’objectif est le même : corriger des incitations faussées. Toute réussite de l’approche punitive chinoise renforcerait de manière considérable les facteurs structurels qui sous-tendent les actifs chinois en corrigeant les incitations et en améliorant la gouvernance.